Edward (Idwārd) Saʿīd
Né en 1935 à Jérusalem, Edward (Idwārd) Saʿīd est le fils d’une enseignante, Hilda, et de Wadīʿ Saʿīd, un homme d’affaires prospère et protestant de Palestine. Il a 13 ans quand la guerre éclate entre l’État sioniste nouvellement créé et les pays arabes voisins. Scolarisé à la St. George Academy, une école anglicane, le jeune Edward doit comme bien d’autres Palestiniens quitter sa terre natale pour aller s’installer ailleurs. Après un passage par l’Égypte, il poursuit ses études aux États-Unis, seul dès l’âge de 16 ans. Brillant étudiant, il obtient des diplômes en littérature à Chicago, Princeton puis Harvard, avant de devenir professeur à l’université Columbia, où il restera toute sa vie.
Armé de sa double identité arabe et américaine, Edward Saʿīd axe alors son travail porte sur le postcolonialisme et les relations entre culture et impérialisme, faisant le pont entre son monde d’origine et celui dans lequel il vit. Ce travail de professeur et les échanges qu’il a avec ses étudiants vont peu à peu l’amener à la rédaction de ce qui sera son premier ouvrage : ‘Orientalism’. Publié en 1978, son livre se veut alors une profonde critique de la perception occidentale du Moyen-Orient. Pour Saʿīd, l’Occident, pour mieux inscrire son projet colonial, a tout bonnement vendu aux masses une image déformée et trompeuse de l’Orient qu’il convient de revoir et déconstruire. Comme un pavé dans la mare, ‘Orientalism’ suscite immédiatement son lot de réactions. Les uns y voient, enfin, la critique attendue d’un regard devenu étouffant, les autres, un pamphlet trop simpliste pour être considéré comme un travail à entendre. De nombreux orientalistes vont ainsi monter au créneau contre Saʿīd, ainsi de l’un des plus fameux d’entre eux, le juif américain Bernard Lewis.
La Palestine sera évidémment le sujet de plusieurs livres, dont le célèbre ‘The question of Palestine’, en 1979. Suivront des textes tels que ‘After the Last Sky: Palestinian Lives’ (1986), ‘The Politics of Dispossession: The Struggle for Palestinian Self-Determination’, 1969-1994 (1994), ‘Peace and Its Discontents: Essays on Palestine in the Middle East Peace Process’, mais aussi ‘The End of the Peace Process: Oslo and After’ (2000). De 1977 à 1991, Edward Saʿīd est aussi un membre indépendant du Conseil national palestinien (CNP). Il sera même là, à Alger, en 1988, lors du vote pour l’établissement de l’État de Palestine, malgré la menace d’un bombardement israélien. Défenseur d’une solution à deux États, Saʿīd n’est cependant pas prêt à accepter les compromis imposés par les accords d’Oslo en 1993. Pour Saʿīd, Yāsir ʿArafāt a trahi le droit au retour des réfugiés palestiniens chez eux. Dans la foulée, il quitte son poste au Conseil national palestinien, peu avant que ses livres ne soient interdits par l’Autorité palestinienne.
Bien que chrétien, Saʿīd est l’un des premiers à écrire sur l’islamophobie dans les médias avec ‘Covering Islam: How the Media and the Experts Determine How We See the Rest of the World’, publié en 1981. Douze ans plus tard, il continuera dans la même lancée avec ‘Culture and Imperialism’, un ouvrage offrant en filigrane une synthèse de ses différents travaux. Évidemment accusé d’« antisémitisme » pa toute la fine fleur du sionisme, Edward Saʿīd a pourtant toujours reconnu aux juifs le droit de revendiquer des droits en Palestine. Mais les Arabes, pour Saʿīd, ont tout autant, si ce n’est plus, le droit d’y vivre, et librement. Surtout, « personne n’a de revendication qui l’emporte sur toutes les autres lui permettant d’expulser des gens ! » lancera-t-il un jour à ses accusateurs. Parlant couramment l’arabe, l’anglais mais aussi le français, et sachant lire en espagnol, en allemand, en italien comme en latin, il est invité à livrer des conférences dans le monde entier. Fidèle à l’Université de Columbia – où il aura, en 2002, une chaire en son nom – il sera plusieurs appelé en tant que professeur invité aux universités de Harvard, Johns-Hopkins ainsi qu’à Yale. Gratifié de nombreux doctorats honoraires livrés par diverses universités, Saʿīd a aussi reçu le ‘prix Trilling’ de Columbia ainsi que le ‘prix Wellek’ de l’Association américaine de littérature comparée. En 1999, ses mémoires ‘Out of Place’ ont gagné le prix du New Yorker récompensant les œuvres non fictives.
Ces distinctions ne feront cependant jamais taire sa fougue et au-delà de ses critiques dirigées contre Israël, Edward Saʿīd protestera souvent contre la politique étrangère menée par les États-Unis. Aux lendemains du 11 septembre 2001, à contre-courant, Saʿīd dénonce les interventions américaines comme le soutien inconditionnel des présidents et sénateurs américains à Israël. Une attitude qui n’a pas été sans déplaire aux autorités, locales et étrangères. En 2006, l’anthropologue David Price fera connaître au monde un dossier de 147 pages provenant du FBI. À sa lecture, l’on comprend que Saʿīd était sous surveillance depuis 1971, le plus souvent à la demande d’Israël. Diagnostiqué d’une leucémie depuis la fin des années 1990, Edward Saʿīd finit par laisser la vie le 25 septembre 2003 à New York. Il sera enterré au cimetière protestant de Broumana, au Liban. Edward Saʿīd laisse derrière lui une œuvre magistrale et un héritage intellectuel encore aujourd’hui mondialement reconnu.